Le 15 mai dernier, les salariés de la branche BTP de la société Ineo (regroupement des services de Bouygues) étaient en grève pour défendre leurs conditions de travail. Nous avons échangé avec Christophe Marty, délégué syndical CGT Ineo, et Alex, salarié de l’entreprise à Colomiers (31).

Est-ce que vous pouvez expliquer la situation chez Ineo et les raisons de la grève ?

Christophe : Pour donner un peu de contexte, il y a quatre ans, le groupe Bouygues a racheté Ineo pour 7,5 milliards d’euros à Engie (GDF Suez à l’époque). C’est l’une des ventes d’entreprise les plus importantes de la dernière décennie. Cela représentait 80 000 salariés répartis dans la branche services d’Engie, regroupant des activités de BTP, de climatisation, de nucléaire et de réseaux.

Bouygues, qui tenait absolument à ce complément d’activité, a racheté Ineo pour 7,5 milliards d'euros alors qu’il était estimé à 6 milliards. Les syndicats avaient négocié une période de trois ans pendant laquelle la direction ne pouvait pas toucher à nos avantages sociaux. Mais maintenant que cette période est terminée, on assiste à une accélération brutale de la dégradation des conditions de travail, et la direction s’attaque directement aux avantages que nous avions.

Par exemple, nous avions une prime de fin d’année et une journée de solidarité offerte : ils veulent nous retirer les deux et refusent de revaloriser nos salaires dans le cadre des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO).

Alex : Nous sommes allés voir la direction, mais elle refuse de négocier. Je cumule plusieurs postes, et cette année, j’ai eu 0 % d’augmentation. Ça donne un coup au moral. On nous dit : « Faites encore des efforts, ne vous inquiétez pas, l’année prochaine ça paiera. » Bien sûr, personne n’y croit.

Christophe : La direction déléguée Réseaux Sud de l'entreprise se porte très bien, avec un chiffre d’affaires en 2024 de 46 millions, alors que l’objectif fixé en 2023 était de 35 millions. Et non seulement les salariés n’ont pas les salaires qu’ils devraient avoir, mais en plus on vient leur faire les poches en attaquant leurs avantages. C’est ce qui a lancé la mobilisation.

Quelle est l’étendue de la mobilisation aujourd’hui, et quelles sont les perspectives ?

Christophe : Aujourd’hui, c’est un premier jour de grève pour défendre nos acquis sociaux. Nous avons déjà fait reculer la direction, qui a renoncé à supprimer la prime de fin d’année – du moins pour cette année.

Cette journée s’inscrit dans la continuité d’un ras-le-bol général et d’une réactivation militante au sein de la CGT Ineo, avec l’émergence de nouveaux élus combatifs. Ce qui me rassure, c’est de voir que des salariés se sont mis spontanément en grève, pour dire stop.

Des mobilisations ont eu lieu ici, à Colomiers, où nous comptons 20 % de grévistes. En Corse, ils sont 100 % en grève. À la question des salaires et des conditions de travail s’ajoute une problématique de harcèlement de la part d’un chef. Et à Avignon, il y a également eu des blocages. Au final, on était une centaine de grévistes sur 500 salariés.

Le soutien matériel et logistique des Unions locales et départementales CGT a été salutaire, dans un contexte où la CGT est la seule des organisations syndicales représentatives à se battre.

Au-delà des personnes mobilisées, il y a un soutien important parmi le reste des salariés. Mais la situation est très tendue. Il y a une vraie rupture entre les cadres et les autres salariés. Les cadres se dédouanent en disant qu’ils ne font qu’appliquer les directives d’en haut.

À cela s’ajoute le fait qu’une journée de grève, c’est 150 € en moins à la fin du mois, quand certains finissent déjà le mois à découvert. La réalité, c’est qu’on a des travailleurs très précaires dans le bâtiment, alors qu’on génère énormément d’argent.

Ce sont des métiers extrêmement durs et dangereux. En Europe, la France détient le record des accidents et des morts au travail. Dans le BTP, on compte plus de 150 morts par an sur nos chantiers. On mériterait d’être mieux traités et d’avoir de meilleures conditions de travail.

La prochaine mobilisation sera coordonnée en septembre, à l’échelle nationale, en amont des prochaines NAO. L’objectif sera de mettre la pression sur la direction et sur la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP), l’organisation patronale du secteur.

Peux-tu décrire plus précisément les conditions de travail chez Ineo ?

Alex : Concernant les formations, l’entreprise assure vraiment le strict minimum. C’est compliqué d’aller plus loin sans prendre sur son temps personnel. Les journées de travail sont déjà très chargées.

Pour le matériel, on a l’impression que lorsqu’on fait des réclamations, on les dérange – et ça traîne à arriver, quand ça arrive.

Suite à une blessure au genou, en tombant dans une tranchée, on m’a demandé ce qui pourrait être mis en place pour éviter que ça se reproduise. J’ai proposé d’acheter des passerelles. Ça fait pratiquement un an – et on n’a toujours pas de passerelle. En gros, ils se disent qu’il n’y a pas besoin de nous acheter du matériel, puisqu’on se débrouille déjà sans. Et si on se blesse, tant pis.

Le PCR porte le mot d’ordre de nationalisation sous contrôle démocratique des salariés du secteur du BTP. Qu’en penses-tu ?

Christophe : Les gouvernements successifs dits de « gauche » se sont dégonflés sur la question de la nationalisation. On a l’exemple d’ArcelorMittal, qui a racheté les hauts-fourneaux d’Arcelor pour ensuite les éteindre, licencier et délocaliser. Ces gens-là sont des assassins.

Le capitalisme a produit le fascisme, il crache à la gueule des droits des femmes, des gens qui ont une différence de couleur de peau, d’orientation sexuelle… C’est une horreur.

Face à ça, vous avez raison : il faut être à l’offensive, se réapproprier l’appareil productif, refaire prendre conscience aux gens qui travaillent que c’est eux qui produisent tout, qui créent la richesse. Il faut rappeler qu’une partie de leur journée ne sert qu’à nourrir le capital.

Dans le BTP, ce n’est pas juste appuyer sur des boutons. Il y a une vraie valeur technique, une valeur ajoutée sur le terrain. Et si on n’y va pas, les patrons ne gagnent pas un centime.

La gauche, l’extrême gauche, et les syndicats ont trop longtemps abandonné la rue. Aujourd’hui, on le paye. Des ouvriers, anciennement communistes, sont passés à l’extrême droite. Il y a un problème. Il y a du boulot. Et il faut s’y mettre, sérieusement et collectivement.

 

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