À 55 ans, j’ai perdu mon travail à la suite de la fermeture du commerce dans lequel j’étais employée. C’était un coup dur. Alors, quand j’ai retrouvé un emploi dans une station-service Total, j’étais heureuse, parce que ce n'est pas donné à toutes les personnes de mon âge. Mais cette joie a vite laissé place à l’épuisement. Pendant six ans, j’ai tout donné, jusqu’à ce que mon corps dise stop.
Des conditions de travail épuisantes
J’étais employée à temps partiel, payée au SMIC horaire. En réalité, je faisais bien plus que les heures prévues. Mes horaires variaient sans cesse : une semaine je faisais 25 heures, la suivante 45, il n’y avait aucune régularité. On était que deux salariés, et on travaillait seul sur toute la plage horaire : de 6h30 à 14h ou de 14h à 21h. Et comme on était seuls et qu’il y avait tout le temps du monde, on avait aucune pause. La patronne passait seulement pour contrôler le travail.
Dès 6h30, les camions d’entreprises faisaient la queue. Il fallait encaisser à la chaîne, pendant plus d’une heure, sans interruption, tout en comptant le fond de caisse de la veille. À 8h, arrivaient les livraisons : sandwichs, boissons, produits pour voitures… Je devais tout vérifier, contrôler les bons de commande, et en même temps, nettoyer les vitres de la station. Au cours de la journée, on devait aussi faire le ménage intégral des locaux, y compris les toilettes, qu’on devait laver après chaque client.
Le 1er janvier et le 25 décembre, je travaillais de 8h à 20h, sans aucune coupure, même pas une pause repas. La station était bondée et j’étais seule. Quand j’y repense, à mon âge c’était déjà difficile, mais avec ces cadences, c’était inhumain.
Une surcharge de travail hors contrat
Quand la patronne partait en vacances, je faisais tout : les inventaires, les commandes, la gestion des stocks… Je gérais la station comme si c’était mon entreprise – sauf que j’étais payée au SMIC. Les heures supplémentaires n’étaient même pas déclarées correctement : parfois, elle me donnait une enveloppe avec « 50 euros à la louche » pour tout le travail en plus au cours de la semaine.
Chaque soir, je devais faire la clôture de la caisse, préparer les dépôts, et transporter plusieurs milliers d’euros en espèces et en chèques à la banque. À 60 ans, j’avais peur de me faire repérer et de me faire agresser. Travailler seule, la nuit, avec une caisse pleine, c’était très angoissant.
Et comme nous n’étions que deux salariés, il m’était impossible de m’absenter, même malade. Une fois, j’ai travaillé avec 39°C de fièvre, sous antidouleurs, vitamines C et je buvais des redbull pour tenir. J’avais la grippe, mais je suis venue, parce que je savais que si je n’étais pas là, personne ne me remplacerait.
Burn-out et menaces
Un jour, la patronne m'a demandé de nettoyer sous les frigos et je me suis déboîté l’épaule. J’ai souffert pendant un an, sans jamais me mettre en arrêt. Je me sentais trop responsable de la station, c’était une erreur. Tout reposait sur moi et je ne tenais plus. J’ai même fait un zona qui me faisait horriblement souffrir. Mais j’ai continué à aller au travail.
Un matin, je suis partie travailler – mais mon corps m’a conduite directement chez le médecin. Il m’a directement délivré un arrêt de travail en me disant que je faisais un burn-out. Cela faisait six ans que je travaillais dans cette station, j’avais 61 ans.
Ma patronne ne m’a pas crue, elle croyait que je ne voulais pas travailler. Deux semaines après mon arrêt, elle m’a appelée pour me dire : « Si c’est comme ça, je vais chercher quelqu’un d’autre. On fait une rupture conventionnelle ! » Elle voulait me virer, mais elle savait qu’elle n’avait pas le droit. Elle m’a menacée : « Si tu refuses, tu n’auras aucune indemnité. ». Elle comptait sur ma peur pour que je parte sans finir mon arrêt maladie.
Mais j’ai contacté la CGT. J’ai rencontré un militant qui m’a soutenu. Il m’a accompagnée dans toutes les démarches. J’ai terminé mon arrêt maladie et il m’a épaulée pendant l’entretien de rupture. J’ai obtenu toutes mes indemnités, et la patronne n’a pas bronché, grâce à lui. Il ne faut pas rester seule dans ces cas-là, il faut s’organiser, contacter les syndicats. Sinon, les patrons peuvent toujours nous avoir.
J’ai ensuite été au chômage pendant un an, avant de partir à la retraite à 62 ans. J’ai travaillé toute ma vie, enchaîné les contrats précaires, et aujourd’hui, ma retraite ne s’élève qu'à 950 euros par mois. Mon cas n’est pas isolé, c’est le sort de beaucoup de femmes comme moi, qui ont trimé toute leur vie, mais ont eu des carrières hachées. Et au vu des politiques du gouvernement, cela va empirer. Il faut lutter contre ces politiques, contre ce système, lutter pour une vie digne, sans exploitation, du début à la fin.