Le 17 mai, l’armée israélienne a déclenché une nouvelle offensive terrestre de grande ampleur contre Gaza. Des centaines de civils – peut-être des milliers – ont été tués en quelques jours. Le 19 mai, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a affirmé qu’Israël prévoyait de prendre le contrôle de l’intégralité de la bande de Gaza. Le régime sioniste veut poursuivre le nettoyage ethnique à grande échelle qu’il a déclenché il y un an et demi, c’est-à-dire chasser ou massacrer un maximum de Palestiniens de Gaza. La famine frappe déjà des centaines de milliers d’entre eux.
Hypocrisie impérialiste
Une évolution est notable, ces dernières semaines, dans l’attitude des impérialistes occidentaux : cette nouvelle offensive israélienne a été condamnée par la plupart des dirigeants européens. Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, a qualifié de « monstrueux » les projets de nettoyage ethnique du ministre israélien Bezalel Smotritch. Jean-Noël Barrot, le ministre des Affaires étrangères français, a déclaré que cette offensive était « disproportionnée » (comme si les précédentes étaient « proportionnées »). L’Union Européenne a annoncé qu’elle allait « réexaminer » son accord d’association avec Israël. Quant aux grands médias bourgeois, ils font mine de découvrir subitement toute l’horreur du massacre des Gazaouis.
L’hypocrisie de ces politiciens et journalistes bourgeois est répugnante. Pendant 18 mois, ils ont soutenu et armé le génocide des Gazaouis. Ils ont calomnié tous ceux qui se mobilisaient pour s’y opposer, en les traitant d’antisémites – et ils continuent d’ailleurs de le faire. Les larmes de crocodile versées par Jean-Noël Barrot n’ont pas empêché son collègue de l’Intérieur, Bruno Retailleau, de demander la dissolution du collectif Urgence Palestine, accusé d’être « antisémite ». Un journal écossais a révélé que, le jour même où David Lammy dénonçait l’offensive israélienne devant les députés du Parlement, un avion de l’armée de l’air britannique menait une mission de reconnaissance au-dessus de Gaza, pour aider l’aviation israélienne à identifier des cibles à bombarder.
Trump et les Israéliens
A Washington aussi on a pu observer un changement d’attitude vis-à-vis d’Israël. Le 6 mai, après deux mois de bombardements intensifs au Yémen, Donald Trump a annoncé la conclusion d’un cessez-le-feu avec les Houthis. Ces derniers se sont engagés à cesser leurs attaques contre les navires commerciaux naviguant en Mer Rouge ou dans le détroit de Bab-el-Mandeb. Cependant, Washington n’a pas exigé qu’ils cessent leurs tirs de missiles contre Israël. La veille de l’annonce de cet accord, un de ces missiles a frappé une voie rapide à proximité de l’aéroport de Tel-Aviv. Plusieurs politiciens israéliens ont critiqué cet accord, mais l’ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee, leur a répondu que les Etats-Unis « n’avaient pas à demander l’autorisation d’Israël » pour conclure des accords avec qui que ce soit.
Les Américains ont aussi continué à négocier avec Téhéran pour tenter de parvenir à un nouvel accord sur le nucléaire iranien – au grand dam des dirigeants israéliens, qui prônent une offensive militaire contre l’Iran. Michael Waltz, chaud partisan d’une guerre contre l’Iran, a été limogé début mai de son poste de conseiller du Président américain. D’après certaines sources, Trump aurait pris cette décision après que Waltz a rencontré Netanyahou – sans en informer la Maison Blanche – pour discuter d’éventuelles frappes contre l’Iran.
Le 14 mai, durant sa visite en Arabie Saoudite, Trump a rencontré le nouveau Président syrien, Ahmed al-Charaa, qui était auparavant (sous le nom d’Abou Mohammed al-Joulani) le chef du groupe djihadiste Hayat Tahrir al-Cham, dont la tête avait été mise à prix par les services secrets américains, en 2017, pour 10 millions de dollars ! Cette rencontre a eu lieu alors même que l’armée israélienne occupe plusieurs portions du territoire syrien et menace le régime d’al-Charaa, en utilisant comme prétexte ses attaques contre les Druzes du Sud-Est de la Syrie. Cette rencontre de Trump avec al-Charaa pourrait aussi marquer une tentative de rapprochement des Etats-Unis avec la Turquie, principal parrain du nouveau régime syrien et rival régional d’Israël.
Tous ces épisodes ont été autant d’humiliations pour les dirigeants israéliens, auxquels Washington rappelle brutalement qu’ils sont dépendants du soutien américain. Ceci dit, Trump n’est pas devenu un ami des Palestiniens, comme le montrent bien la poursuite des expulsions d’étudiants étrangers « coupables » d’avoir protesté contre le massacre des Palestiniens, et plus généralement la pression exercée par Trump contre les universités américaines pour qu’elles répriment très durement le mouvement de solidarité avec la Palestine.
Les intérêts des impérialistes
Depuis le début de la guerre contre Gaza, les dirigeants impérialistes occidentaux ont apporté leur soutien à Israël, car l’Etat sioniste est leur plus solide allié et leur principal point d’appui militaire au Moyen-Orient. C’est d’autant plus vrai que, ces dernières années, des impérialismes rivaux – à commencer par la Russie et la Chine – se sont implantés dans cette région stratégique.
Cependant, la poursuite de la guerre à Gaza représente un risque pour les intérêts impérialistes, et avant tout pour les intérêts de l’impérialisme américain. Trump veut retirer le maximum de ressources américaines du Moyen-Orient pour les concentrer contre la Chine. Or c’est impossible si Washington doit constamment intervenir pour défendre Israël contre les représailles que provoque la boucherie de Gaza.
Cette guerre est aussi un gigantesque foyer d’instabilité : elle accroît sans cesse la colère des masses de la région – notamment en Egypte et en Jordanie – contre leurs propres dirigeants, qui restent passifs face au massacre des Palestiniens, quand ils n’en sont pas activement complices. Par ailleurs, l’appui des dirigeants impérialistes occidentaux au génocide des Gazaouis a suscité la répulsion de couches de plus en plus importantes des masses en Occident même, ce qui affaiblit l’autorité politique déjà chancelante des bourgeoisies européennes et américaine.
Enfin, les plans génocidaires des dirigeants israéliens, leurs attaques contre la Syrie, contre le Liban, et leurs gesticulations bellicistes à l’encontre de l’Iran menacent de faire basculer toute la région dans une guerre généralisée, dans laquelle les Etats-Unis risqueraient d’être entraînés et qui aurait des conséquences désastreuses pour l’économie mondiale.
L’impérialisme français et le Moyen-Orient
Les intérêts de l’impérialisme français sont menacés, eux aussi, par les aventures guerrières de Netanyahou. Après avoir soutenu Israël de façon inconditionnelle pendant de longs mois – y compris en lui fournissant des pièces détachées pour ses drones de combat –, le gouvernement français a commencé à adopter un ton plus critique lorsque les Israéliens ont envahi le Liban, en septembre 2024.
Ce n’est pas un hasard. Le Liban est une position historique de l’impérialisme français dans la région. C’est l’entreprise française CMA-CGM qui gère les terminaux de conteneurs des ports de Beyrouth et de Tripoli. TotalEnergies est le deuxième distributeur de carburant du pays. Thalès, Saint-Gobain, Nexans et bien d’autres géants français y sont implantées. L’impérialisme français exerce encore une forte influence sur la politique libanaise et se présente sur la scène internationale comme le « protecteur » du Liban. Pas question, pour les impérialistes français, de sembler ne pas réagir lorsqu’Israël menace ce pays de dévastations en tous genres.
En Syrie, également, les intérêts de l’impérialisme français sont contrariés par les manœuvres du gouvernement Netanyahou, qui tente de déstabiliser le régime d’al-Charaa. Depuis le début de la guerre civile syrienne, Paris a soutenu les rebelles islamistes qui ont pris le pouvoir en décembre dernier. Ce soutien a porté ses fruits. Il y a quelques semaines, l’entreprise française CMA-CGM – déjà implantée au Liban – a signé un contrat d’une durée de 30 ans pour la gestion et l’extension du port de Lattaquié, le plus important de Syrie. Autre signe de la proximité entre l’impérialisme français et le pouvoir islamiste syrien (dès lors décrit par la presse bourgeoise comme « modéré » et « inclusif ») : la première visite en Europe du nouveau président al-Charaa a été pour Emmanuel Macron, à l’Elysée.
Cessez-le-feu ?
En janvier dernier, avant même son investiture officielle, Donald Trump avait fait pression sur Netanyahou pour le contraindre à signer un cessez-le-feu avec le Hamas. Après son entrée en vigueur, Trump a fait plusieurs déclarations provocatrices sur l’expulsion de tous les Palestiniens de Gaza et la transformation de cette enclave en une « nouvelle Riviera » contrôlée conjointement par les Etats-Unis et Israël. Cela visait surtout à flatter les dirigeants sionistes – après leur avoir forcé la main.
Aujourd’hui, alors que l’armée israélienne se déchaîne à nouveau contre la bande de Gaza, Steve Witkoff, l’envoyé spécial de Trump, fait à nouveau pression sur le gouvernement israélien et sur le Hamas pour tenter de conclure un nouveau cessez-le-feu. Mais ces pressions se heurtent à l’opposition de Benyamin Netanyahou – et à la méfiance du Hamas, qui craint (à raison) qu’un nouvel accord soit aussi éphémère que le premier.
Le 26 mai, le Premier ministre israélien a déclaré qu’il ne « renonçait pas à sa mission » de gagner la guerre. Le même jour, son ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, s’est rendu sur l’Esplanade des mosquées à Jérusalem – occupée par Israël en violation de plusieurs résolutions de l’ONU – pour y déclarer : « Je suis monté sur le Mont du Temple pour la Journée de Jérusalem et j’ai prié pour la victoire dans la guerre ».
La majorité parlementaire de Benyamin Netanyahou ne tient que grâce au soutien des sionistes les plus fanatiques, dont Ben Gvir est l’un des chefs de file. Ils veulent profiter de la guerre pour chasser ou massacrer les Palestiniens de Gaza et intensifier la colonisation de la Cisjordanie. Ils ont menacé Netanyahou de faire tomber le gouvernement si un cessez-le-feu était conclu. Menacé par plusieurs enquêtes judiciaires, Netanyahou n’a aucune envie de perdre l’immunité attachée à son statut de Premier ministre. Aussi prolonge-t-il la guerre – en dépit de l’opposition, désormais, de la grande majorité de la population israélienne.
Il est possible que Trump parvienne à faire céder Netanyahou, notamment en le menaçant de suspendre l’aide militaire américaine à Israël si un cessez-le-feu n’était pas signé. Mais un tel accord ne réglerait strictement rien sur le long terme.
Un cessez-le-feu ne changerait rien à l’occupation et la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, pas plus qu’à l’asphyxie économique que subissent les habitants de Gaza depuis près de 20 ans. Durant le cessez-le-feu de janvier et février, l’armée israélienne – « libérée » de la guerre à Gaza – avait même intensifié ses opérations meurtrières en Cisjordanie. Un cessez-le-feu conclu sous les auspices des impérialistes ne serait qu’une pause avant un nouveau massacre, comme l’ont été tous les cessez-le-feu conclus après les guerres menées par Israël contre Gaza en 2008, 2012 et 2014.
Les dirigeants occidentaux se moquent des souffrances des Palestiniens. Ils ne se préoccupent que de leurs intérêts impérialistes et des profits de leurs classes dirigeantes. Seule une mobilisation révolutionnaire de masse, en Palestine et dans les pays voisins, menée avec le soutien de la classe ouvrière des pays impérialistes, peut mettre fin à l’oppression des Palestiniens.