La rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska, le 15 août, puis la convocation à Washington de Zelensky et de dirigeants européens, quelques jours plus tard, ont suscité de furieuses lamentations dans la presse occidentale.

Une analyse sérieuse de cette séquence diplomatique est impossible si on ne commence pas par écarter d’un revers de la main toutes les litanies mensongères de notre « presse libre ».

De l’Alaska à Washington

Commençons par nous demander pourquoi Donald Trump a proposé à Poutine – l’« ogre » russe, d’après Macron – de le rencontrer en Alaska. A lire la presse européenne, cela semble n’avoir aucun sens rationnel. On en vient à se demander s’il n’y aurait pas une puissante magie noire à l’œuvre – ce qui n’aurait rien d’étonnant si un « ogre » est effectivement impliqué !

En réalité, il n’y a là rien de très magique ou mystérieux.

En juillet, Trump a multiplié les menaces contre la Russie, à laquelle il a même adressé un « ultimatum » de 50 jours, qu’il a ensuite réduit à 10. Il a aussi menacé l’Inde de lui infliger d’importants tarifs douaniers si elle continuait à acheter du pétrole et du gaz russes, malgré les sanctions. Toutes ces menaces visaient à contraindre Poutine à faire des concessions sur les conditions de la paix en Ukraine, pour permettre aux Etats-Unis de s’extirper au plus vite de ce bourbier et concentrer leurs forces contre leur principal rival : la Chine.

Le gouvernement indien a refusé de céder au chantage des Américains. Début août, des tarifs douaniers de 50 % ont été imposés par Trump à New Delhi, mais cela a surtout fourni un argument supplémentaire au rapprochement diplomatique entre l’Inde et la Chine. Quant à l’ultimatum de Trump, le gouvernement russe l’a tout simplement ignoré.

Cette situation est une illustration concrète du déclin relatif de l’impérialisme américain. Les Etats-Unis restent la première puissance mondiale, mais ils ne peuvent plus imposer leur volonté comme ils l’entendent. Lorsque la date butoir de l’ultimatum fixé par Trump est arrivée, il était évident qu’il s’agissait d’un simple bluff, au grand dépit des dirigeants européens.

Pour se tirer de cette impasse, Trump a viré de 180 degrés, une fois de plus : il a invité Poutine à discuter directement avec lui en Alaska. Le problème est simple : les Etats-Unis n’ont pas les moyens de contraindre les Russes à renoncer à leurs principales conditions de paix – à savoir la reconnaissance de l’annexion par la Russie de la Crimée et du Donbass, la renonciation par l’Ukraine de son adhésion à l’OTAN et la réduction drastique des capacités militaires ukrainiennes. Dès lors, Trump a accepté de négocier sur cette base : celle des Russes.

Zelensky a été convoqué à Washington, trois jours plus tard, pour que Trump le lui explique directement : soit les Ukrainiens acceptent les conditions russes, soit les Américains pourraient bien s’en laver les mains et abandonner les Ukrainiens à leur sort. Pris de panique, les dirigeants européens se sont empressés d’accompagner Zelensky pour tenter de ramener Trump à la « raison ».

Cependant, les impérialistes européens n’ont aucun moyen de faire pression sur Trump. Le véritable rapport des forces entre l’UE et les Etats-Unis s’est exprimé dans l’accord commercial conclu entre Ursula von der Leyen et Donald Trump, fin juillet : les Européens ont accepté toutes les demandes américaines, sans rien obtenir en échange. A Washington, Trump ne s’est pas privé de faire allusion à ce traité, histoire de rappeler que, face aux Européens, c’est lui qui mène la danse.

Quant à Zelensky, il a rappelé ses objections à toute concession territoriale de la part de l’Ukraine (dans l’indifférence absolue de Donald Trump), mais a dû abandonner son exigence d’un « cessez-le-feu » préalable à toute négociation d’un accord de paix. Les Russes y sont opposés, car ils y voient (non sans raison) une manœuvre visant à geler le front le temps de renforcer une armée ukrainienne en très grande difficulté.

A leur retour de Washington, les Européens ont ressorti des tiroirs leur plan d’envoi de troupes européennes en Ukraine, sous la protection des Américains. Mais Trump est resté très vague sur le « soutien » qu’il pourrait apporter à un tel déploiement. Et de toute façon, le gouvernement russe les a brutalement ramenés sur terre en rappelant qu’il n’accepterait aucun déploiement de troupes de l’OTAN en Ukraine – qu’elles soient européennes ou américaines.

Une guerre d’attrition

Ces derniers mois, les péripéties diplomatiques ont occupé le devant de la scène médiatique au détriment de la situation sur le front, en Ukraine. Or, n’en déplaise aux impérialistes occidentaux (et surtout européens), lorsqu’il s’agit du sort d’une guerre, la diplomatie est un élément secondaire : c’est la situation militaire qui est l’élément déterminant.

De nombreux journalistes et politiciens occidentaux prétendent que la guerre aurait atteint une sorte d’impasse, dont seule la négociation – impliquant des compromis importants de la part des Russes – permettrait de sortir. De prétendus « experts militaires » affirment notamment qu’au rythme où les Russes ont progressé, depuis 2023, il leur faudrait de nombreuses années pour occuper tout le Donbass.

Cette « expertise » néglige complètement le fait que la guerre en Ukraine est une guerre d’attrition : l’objectif des Russes n’est pas de conquérir le maximum de territoire, mais de détruire les forces ukrainiennes, pour pouvoir ensuite avancer de plus en plus rapidement lorsqu’elles seront suffisamment affaiblies.

Les Russes sont aidés en cela par la stratégie suicidaire adoptée par l’état-major ukrainien : Zelensky et ses généraux sont obsédés par l’impact défavorable que des défaites peuvent avoir sur leurs bailleurs de fonds occidentaux ; ils refusent donc catégoriquement que leurs troupes puissent reculer, même lorsqu’elles sont dans une situation désespérée. A Avdiivka, dans la poche de Krinky (sur le Dnepr), comme dans bien d’autres secteurs du front, des soldats ukrainiens se sont fait littéralement hacher sur place par l’artillerie russe, sous les encouragements de la presse occidentale – sans que cela n’empêche les Russes d’occuper finalement ces positions.

Les pertes massives qu’implique cette « stratégie » aggravent l’infériorité numérique de l’armée ukrainienne. Malgré le zèle des détachements de « recrutement » qui kidnappent des civils dans les villes et les villages de l’arrière (et qui font face à une résistance de plus en plus vive de la population ukrainienne), il n’y a plus assez de combattants pour tenir toutes les positions défensives du front.

Les généraux ukrainiens et les « experts » des plateaux télés prétendent avoir trouvé la solution : les drones ! D’après eux, plus besoin de fantassins pour tenir une tranchée, dès lors qu’on peut la surveiller du ciel avec un drone… Ce raisonnement serait comique si des vies humaines n’étaient pas en jeu. L’armée russe dispose d’une supériorité écrasante en infanterie, mais aussi en artillerie, en drones (précisément) et en moyens de guerre électronique. Elle n’a donc pas eu de mal à mettre en échec le soi-disant « mur de drones », notamment en organisant une campagne systématique de repérage et d’élimination des opérateurs de drones ukrainiens.

Au nord de Pokrovsk, l’infanterie russe a pu s’infiltrer progressivement à travers les lignes ukrainiennes jusqu’à ce que celles-ci cèdent complètement à la mi-août. Les Ukrainiens ont dû dégarnir en urgence d’autres portions du front pour envoyer quelques-unes de leurs unités les plus combatives – et notamment des éléments d’une des deux brigades « Azov », composées de volontaires néo-nazis – tenter de colmater ce qui était en train de devenir une percée majeure. Résultat : le front commence à craquer là où ces troupes ont été retirées. Cette situation ne peut pas durer indéfiniment. A un certain stade, c’est l’équilibre même de l’armée ukrainienne qui cédera, ouvrant la voie à des avancées rapides de l’armée russe.

Sur le font, la situation est irrémédiablement favorable aux Russes. Voilà pourquoi Poutine refuse de renoncer à ses principales conditions de paix : il sait que s’il ne peut les obtenir aujourd’hui par la négociation, il pourra toujours les imposer demain sur le terrain.

Une guerre impérialiste par procuration

Le rôle central joué par Trump dans les négociations de paix, depuis cet hiver, rappelle concrètement que ce conflit n’a jamais été autre chose qu’une guerre par procuration entre les impérialistes occidentaux, qui se servent de l’Ukraine comme d’une arme, et leur rival : l’impérialisme russe.

Comme nous l’avons déjà souligné plusieurs fois, la perspective d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN représente une menace existentielle pour les intérêts de l’impérialisme russe. Les Américains, qui le savaient très bien, ont néanmoins insisté sur ce point jusqu’à ce que les Russes passent à l’action en février 2022.

Joe Biden et son gouvernement espéraient que la Russie serait vaincue militairement et affaiblie par les sanctions économiques ; celles-ci avaient aussi un impact négatif sur l’Union Européenne, ce qui n’était pas pour déplaire aux Etats-Unis. L’armée ukrainienne a été rééquipée presque intégralement par les Occidentaux, qui ont joué aussi un rôle central dans son entraînement, son renseignement et l’élaboration de sa stratégie.

Mais rien ne s’est passé comme prévu. Les Ukrainiens ont essuyé défaite après défaite. L’armée russe est désormais la plus endurcie et expérimentée de la planète. La Russie s’est aussi rapprochée de la Chine et de l’Inde ; toute une série d’autres pays l’ont aussi aidée à contourner les sanctions occidentales.

Un accord de paix, quel qu’il soit, ne pourra que consacrer la victoire de la Russie. Ce sera une humiliation pour les Occidentaux, qui devront céder à Poutine ce qu’il demande. Trump semble s’y être résigné, car il espère faire peser le plus gros du poids de la défaite sur les Européens et les Ukrainiens. En outre, il peut rejeter la responsabilité de ce gâchis sur son prédécesseur, Joe Biden.

Pour les dirigeants européens, la situation est très différente. La guerre en Ukraine et la « menace russe » sont devenus un élément de politique intérieure important. Macron et Bayrou s’en servent systématiquement pour justifier leurs politiques d’austérité. Une défaite serait une humiliation politique supplémentaire pour les Européens et leurs régimes souvent fragiles, voire vacillants.

Ils espèrent aussi empêcher les Américains de se désengager du continent européen et, ainsi, gagner du temps pour leur propre réarmement – qui leur servira surtout à défendre leurs propres positions impérialistes (en Afrique pour la France, par exemple). Mais ils ne peuvent pas suppléer au soutien américain à l’Ukraine si celui-ci devait cesser. Tôt ou tard, ils n’auront pas d’autre choix que d’abandonner l’Ukraine au sort dans lequel ils ont contribué à la plonger.

De son côté, Zelensky a bien compris que la défaite marquera la fin de son régime : il rechigne donc à capituler. Mais la réalité du front finira par s’imposer aux dirigeants ukrainiens.

Lorsque les armes se tairont, les travailleurs ukrainiens seront abandonnés par les impérialistes occidentaux, qui les ont utilisés comme chair à canon dans leur guerre contre la Russie. Ils ne leur laisseront que leurs deuils et des dettes.

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